Vert forêt
Leave a light on in the wild
Cause I’m coming in
A little blind
Dreaming of a lighthouse in the woods
Shining a little light to bring us back home
When to find you in the backyard
Hiding behind our busy lives
Dreaming of a lighthouse in the woods
To help us get back into the world
– Patrick Watson, Lighthouse
Se sentir libre, hors d’atteinte, hors du temps, pour quelques jours. Vivre dans un cocon entouré d’arbres et de silence, face aux Jardins de Métis et au fleuve. C’est ce que nous avons vécu en famille il y a quelques jours.
Vendredi soir. Dans la voiture, une playlist de vacances, une boîte remplie de nourriture, nos raquettes, des crazy carpet, des crayons, du papier et nos habits de neige. Nous arrivons aux Jardins à la brunante. La lumière d’entrée de la Maison ERE 132 nous souhaite la bienvenue. Garçonnet s’empresse de descendre de la voiture, fébrile d’explorer un nouveau lieu. Sa curiosité me rend fière.
Bien que le temps soit entre chien et loup, on perçoit la beauté sobre de cette résidence écologique recouverte de plusieurs essences de bois locales (épinette, cèdre, mélèze, tremble). Le vestibule est accueillant. Je remarque tout de suite le plancher de béton estampillé. J’adore ! Il y un grand panier de pantoufles de toutes les couleurs en laine bouillie… Ce détail donne le ton à la fin de semaine : une invitation au repos et à la contemplation. Partout où nos yeux se posent, on sent que les éléments architecturaux et les matériaux ont été soigneusement choisis pour leur valeur écoresponsable et esthétique.

La Maison ERE 132 est un modèle d’habitation écologique abordable et adapté au climat nordique. Sa mission est noble : sensibiliser le public à l’écoconstruction et renforcer l’offre récréotouristique régionale, et ce, de façon écoresponsable. Ça me rejoint. J’ai signé le Pacte pour la transition. Je veux tous les jours poser des gestes pour préserver le monde tel qu’il l’est. Privilégier le tourisme durable en est un. Effectuer des rénos qui respectent les normes environnementales, aussi. Avec les panneaux explicatifs sur l’écoconstruction exposés ici et là dans la Maison ERE 132, je prends beaucoup de notes. Je réalise que l’écoconstruction est plus à ma portée que je ne le croyais.
Une fois le vestibule franchi, nous arrivons dans la cuisine qui a tout pour me charmer :
matériaux durables, de l’espace pour recevoir, des fenêtres qui descendent jusqu’au sol (ou des portes ouvertes sur la forêt), un grand îlot, un comptoir de quartz et un dosseret de verre trempé imprimé. Je range la nourriture, je me sers un verre de vin (la vaisselle est fournie à la maison 132) et je me fais croire que je vis ici. Mon fils s’exclame, du deuxième étage, tout joyeux :
—Maman, j’ai trouvé ma chambre ! Le lit est trop cool !
(superposé en bois massif)

Mon chum se rend au salon et se laisse tomber doucement dans un fauteuil moelleux. Son sourire me dit qu’il est bien ici. J’aime ces moments de symbiose en famille. Ma définition du bonheur.
Au deuxième, il y a une salle avec une grande table et une bibliothèque garnie de livres sur l’environnement, l’écoconstruction, le jardinage, l’architecture. Il y a aussi des recueils de nouvelles et des romans. Je choisi un recueil de nouvelles puis je lis dans la baignoire d’Elsie. C’est le petit nom donné à ce bain sur pattes qui ressemble, j’imagine, à celui qu’avait à l’époque Elsie Reford, créatrice des jardins. Pendant que je relaxe dans le bain, garçonnet dort dans son nouveau lit préféré et mon chum dessine dans la salle à manger.
* * *
Samedi à l’aurore. En dirigeant mes pantoufles vers la cuisine, je suis saisie par la lumière naturelle qui entre par les fenêtres de la face sud de la maison. C’est vivifiant ! J’ai l’impression d’être dans un grand solarium. L’équipe qui a imaginé ERE 132 a trouvé la meilleure orientation pour que la lumière fasse partie du décor au quotidien. Chauffer son cocon à l’énergie solaire : il n’y a rien de plus beau ! Et s’il fait trop chaud, l’échangeur d’air et le système d’aération font lever une agréable brise dans la demeure. Chaque construction de maison devrait être aussi réfléchie. On ne peut plus vivre dans le vert pâle. Il faut changer, pour nos enfants. Nous avons besoin d’un vert franc, un vert fort et droit, un vert forêt.
Je prépare du café en observant les pics chevelus, mésanges, bruants et jaseurs d’Amérique qui font leur vie d’oiseau dans cette paisible cour où quelques mangeoires ont été installées. Les geais bleus sont restés couchés. J’ai lu quelque part qu’ils se rendent dans les mangeoires uniquement lorsqu’ils ont épuisé leurs réserves de glands et de faînes. Ils aiment aussi les cônes de mélèzes. Ils mangent local, autrement dit.

Ma mère nous rejoint à la maison. Il y a trois chambres, c’est parfait ! Elle joue à des jeux de société avec fiston pendant que mon chum et moi allons faire une balade en raquettes. L’hiver, les Jardins endormis sont comme un prolongement de la maison. On a une impression d’intimité, de proximité avec le territoire.
Le sol est recouvert de poudreuse fraîche. On a la chance de faire la première trace ou presque… Il y a quelques empreintes. Lièvres, renards, écureuils et tamias se sont eux aussi offert un séjour aux Jardins. Un séjour prolongé, dans leur cas. Les traces de leurs pattes forment des dessins dans la neige. Des colliers.
Nous marchons vers les jardins contemporains. Des structures colorées sont encore en place et contrastent avec le sol immaculé. C’est beau ! Nous prenons plusieurs photos. On se rend jusqu’au fleuve pour observer ses cratères blancs, presque lunaires.
Nous revenons sur nos pas pour aller vers le jardin d’accueil, guidés par les épinettes blanches et les mélèzes centenaires. Nous explorons ensuite le jardin des pommetiers. Quelques pommettes givrées décorent les arbres. On se rend jusqu’à la Villa Estevan et le belvédère qui offre une vue carte postale sur la rivière Mitis et le fleuve. Chaque fois que je visite les Jardins de Métis, je suis touchée par la sensibilité de la famille Reford à cultiver la terre, la beauté et la mémoire.

Nous rejoignons maman et fiston à la maison. Nous préparons un repas avec quelques produits locaux : des fromages de la Fromagerie du littoral, de l’hydromel et du miel du Vieux Moulin, des condiments de La cabottine-Saveurs indigènes. Ma cousine Julie et sa famille se joignent à nous. Nous honorons la maison de rires et de plaisir, réunis autour de l’îlot.
* * *
Dimanche matin. Avant le départ. Je profite une dernière fois de la lumière. Je note dans mon carnet les noms des artisans qui ont contribué à rendre si jolie et chaleureuse cette résidence écologique. Je reviens chez nous avec des idées de rénos écolos et de décroissance, de l’espoir pour la suite du monde, des rêves d’écriture (j’écrirais un livre, d’ailleurs, dans la Maison 132). Je pense à cette citation de Félix-Antoine Savard : « L’espoir de l’avenir, il est dans la nature et dans les hommes qui restent fidèles à la nature. »