Elsie Reford —
Pionnière de l’écologie?
Journée internationale des femmes — 8 mars 2020
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous célébrons la vie et les accomplissements de notre créatrice, Elsie Reford.
Elle a créé les Jardins de Métis, mais a également travaillé sans relâche pour faire avancer la cause des femmes à Montréal, au Québec et au Canada. La Journée internationale des femmes nous offre l’occasion de se replonger sur l’héritage qu’elle a laissé, mais aussi d’évaluer comment les Jardins se classent par rapport aux normes du leadership qu’elle a illustrées. Comment nous classons-nous? C’est à vous d’en juger.
Les Amis des Jardins de Métis ont été fondés il y a près de 25 ans par la détermination et l’énergie uniques de deux femmes — Thérèse Beaulieu-Roy et Susan McArthur — qui ont relevé le défi de reprendre les jardins du Gouvernement du Québec pour fonder une organisation qui les préserverait pour les générations futures. Elles ont à la fois été inspirées par l’exemple d’Elsie Reford et ont vu l’opportunité unique qui s’offrait par la privatisation des jardins de transformer son héritage en un jardin et un organisme culturel dynamique — Mission accomplie.
Au cours de la génération précédente, l’organisme a fait beaucoup pour offrir aux femmes des opportunités uniques mettant en valeur leurs compétences et leur leadership. Aujourd’hui, la plupart des membres du personnel sont des femmes. Notre équipe de direction actuelle est en grande partie composée de femmes. Nous avons la parité des femmes et des hommes au sein de notre conseil d’administration. Les femmes constituent la majorité de nos visiteurs. Et les artistes et concepteurs que nous accueillons au Festival international des Jardins tout comme les artistes en résidence sont plus souvent des femmes que des hommes. Ce n’est pas une décision politique, mais un reflet d’à quel point la création des Jardins par Elsie inspire les artistes féminines du Canada et du monde entier.
Parce que la Journée internationale des femmes tombe cette année sur la même journée que nous ouvrons nos jardins pour notre événement Plaisirs d’hiver, nous amène à nous poser la question suivante. Nous savons qu’Elsie Reford était une jardinière pionnière, mais est-ce qu’elle était une pionnière de l’écologie?

Souvenons que dans les années 1920, lorsqu’elle a commencé à jardiner, certains mots comme « écologie » et « conservation » commençaient justement à être utilisés. Des concepts tels qu’« écosystème » et « biosphère » étaient très loin de nous. Le mot « écologiste » ne faisait pas encore partie du vocabulaire anglais, encore moins la « biodiversité » ou l’ « anthropocène ». Donc, qualifier Elsie d’écologiste signifie modifier notre compréhension de ce terme et le dater dans une autre période de temps.
Elsie Reford nous a laissé plusieurs indices sur sa vision de la nature. Elle a tenu quotidiennement son carnet de jardin tous les jours pendant près de trente ans — plus de 3000 pages (!!) de griffonnages de jardinage. Quel était son point de vue sur la nature? Que disait-elle à propos de l’environnement?
Il ne fait aucun doute qu’Elsie était une jardinière écologiste. De nos jours, plusieurs livres aident les jardiniers débutants à utiliser des approches écologiques dans leurs jardins. Ils compostent abondamment, utilisent principalement des plantes indigènes, minimisent la consommation d’eau et évitent à tout prix les pesticides et les herbicides dans l’entretien du jardin. Sur ce tableau de pointage, Elsie obtient une note élevée. Elle était presque une compositrice pionnière, important des feuilles échangées avec des fermiers d’à côté pour créer le sol idéal pour chacune de ses collections de plantes. Sa conception des jardins était avant-gardiste et sensible à l’écologie de sa propriété. Elle a construit un jardin qui embrasse le paysage plutôt que le transformer. « Nulle part il n’y a de plantation formelle; il n’y a pas de parterres de fleurs, les jardins ayant été plus ou moins aménagés pour suivre la torsion et la courbure du petit ruisseau avec de petits boisés laissés ici et là entre eux », écrivait-elle en 1949.

Que pensait Elsie sur la nature et sa conservation? Ses réflexions occasionnelles sur le sujet illustrent une révérence rare pour la nature à la limite du spirituel. Insolite pour sa période (où aller à l’église était une obligation dans son cercle social et dans les paroisses voisines), Elsie Reford semble avoir évité le banc d’église et trouvé Dieu dans la nature. Était-ce le bain de forêt ou la spiritualité du jardin? La réponse est probablement les deux.
Ses écrits montrent clairement que la nature était son inspiration. La nature lui a donné la vie (et la volonté de vivre jusqu’à son 95e anniversaire). Du camp Cariboo, son chalet d’hiver situé près d’un lac isolé au sud de Rimouski, elle écrit en 1937, « les bois étaient ardents comme dans leur beauté avec le sol recouvert de feuilles fraîchement tombées dans toutes les teintes d’or, du plus pâle au plus profond, puis le vert parfaitement émeraude de la variété des formes qui poussent ici – sortant du sol en jets gracieux… l’immobilité et le silence des bois et des lacs certains jours semblent nous envelopper. »
La nature lui apportait aussi la paix. « Ce n’est qu’ici que la douleur du cœur peut être allégée ». Les jardins lui ont apporté le calme et la liberté des angoisses de son temps, en particulier après le début de la Grande Dépression en 1929 et le déclenchement de la guerre avec l’Allemagne en septembre 1939, où elle s’inquiétait pour la sécurité de son soldat, son fils aîné Bruce, et de ses enfants jusqu’à leur évacuation de l’Angleterre.

L’admiration d’Elsie pour la beauté qu’elle a créée dans ses jardins l’a amené à ses sommets les plus poétiques. L’expérience de marche dans les jardins était celle qu’elle s’adonnait quotidiennement. Et dans de rares moments, quand elle mettait son œil critique et son carnet de notes dans sa poche (elle notait toujours des améliorations à faire et trouvait la faute sur le chemin de la perfection), elle était conquise par ses jardins. Comme une adolescente en amour, ses mots prenaient leur l’envol : « Il est environ 8 heures du soir et je m’assois devant une grande fenêtre m’offrant le magnifique panorama d’une glorieuse rémanence d’un coucher de soleil parfait… Je ne pense pas que dans le monde entier, en ce moment, il puisse y avoir quelque chose de plus magnifique. Je suis toute seule ce soir, alors j’ai pris un thé sur la véranda à six heures et demie, et je me promène depuis dans mes jardins, ou je pourrais dire parmi les miracles, car ils ne me semblent rien de moins que cela. Comme vous seriez étonné si vous pouviez tous les voir! Le travail — et le travail acharné qui a été — et est — bien que le pire soit bien sûr terminé — est beaucoup plus que remboursé… Je m’émerveille de la façon dont tout cela s’est produit. »

Une écologiste? Utiliser nos valeurs du 21e siècle, peut-être pas. Elle mangeait de la viande, surtout d’animaux qu’elle élevait dans ses propres fermes. Elle pêchait le saumon et n’a jamais semblé hésiter à célébrer le nombre de captures dans ses livres de pêche. Elle a mis une prime sur les taupes — en payant aux enfants locaux 5 cents à ceux qui rapportaient leurs queues à la porte-arrière de la villa Estevan, preuve qu’ils ont été retirés de ses jardins où ils soupaient sur des bulbes et des pousses printanières.
En tant que jeune femme, elle chassait (nous avons la preuve qu’elle a tué au moins un orignal, parce que le sabot de la pauvre bête a été transformé en encrier!). Elle n’avait aucun remords de voir ses fils tirer sur des cormorans pour chasser ces affreux prédateurs de jeunes saumons de la rivière Métis. Et elle n’a pas hésité à introduire des espèces de plantes exotiques dans ses jardins ou à réfléchir à leur impact sur la flore locale.
Mais quand Elsie pouvait être une écologiste, elle en était une. Ses négociations de vendre les chutes de la rivière Métis à l’entrepreneur local Jules A. Brillant en 1920 ont été interrompues, au moins en partie, en raison de ses préoccupations pour s’assurer que le barrage de sa compagnie d’électricité n’affecterait pas l’habitat du saumon de l’Atlantique. Les clauses environnementales du contrat incluaient l’interdiction de polluer la rivière avec des produits pétroliers. Cela faisait certainement partie de son désir de protéger ses droits de pêche et son sport de prédilection, mais aussi une véritable préoccupation (et une compréhension) de la fragilité de l’écosystème fluvial qui devait être protégé. La Compagnie de Pouvoir du Bas-Saint-Laurent a accepté de maintenir le niveau de l’eau au-dessus d’une certaine hauteur — et Elsie a tenu la compagnie à sa promesse par l’entremise de visites et de lettres fréquentes.
Ses pratiques jardinages étaient écologiques, utilisant les pesticides à un strict minimum et gardant tout véhicule mécanique à distance (principalement à cause du bruit et de la poussière que les véhicules généraient, pas tant à cause de leur empreinte de carbone). Elle était également une pionnière en conservation. Ses journaux intimes et ses lettres sont remplis de condamnation de pratiques forestières comme la coupe à blanc des arbres et la décimation des forêts qu’elle vénérait, ainsi que la destruction de la maison de ses orchidées bien-aimées et de petites bêtes. Lorsqu’elle pouvait « sauver » l’environnement, elle le faisait.
Sa façon de faire était principalement de le posséder, démontrant une pratique suivie par la Nature Conservancy lors de sa fondation (aux États-Unis) en 1951. Posséder un territoire était la façon pour elle d’assurer sa gestion écologique. Elle a fait l’acquisition de deux fermes, situées près de ses jardins, non pas tant pour les cultiver que pour préserver les paysages uniques le long de la rivière Métis et pour protéger le ruisseau qui fournissait à ses jardins un courant constant d’eau et de vie.

Est-ce qu’Elsie Reford nous a légué un héritage environnemental? Une voix à suivre? Comme d’autres organisations, nous nous attaquons aux défis de l’« écologisation » de nos opérations. Cela nous a amenés à acheter des vélos pour le personnel, à installer des bornes de recharge pour les véhicules électriques, à créer un système de compostage ambitieux et même à élever nos propres moutons. Cela a conduit à la construction de la maison écologique ERE 132 comme vitrine des méthodes de construction écologique. Elle a régi notre choix de protéger la rive ouest de la rivière Métis en achetant le parc de la rivière Métis et en le transformant en une réserve écologique. Et cela explique la présence de portions de tours d’éoliennes et d’une rame de métro MR-63 en fin de vie, illustrant de notre mission de recyclage et de réutilisation dans la mesure du possible. À l’été 2020, nous commençons la première étape pour raviver notre connexion avec les bains de jardin de notre fondatrice. Inspirés par un mouvement mondial, nous nous associons pour offrir les jardins comme lieu thérapeutique aux patients de l’Hôtellerie Omer-Brazeau, l’hospice du cancer à Rimouski. Et nous travaillons sur des moyens de rendre chaque expérience de jardin aussi rajeunissante pour vous que pour Elsie Reford, en lançant une expérience de baignade dans les jardins qui sera transformatrice pour les jardins et ses visiteurs.
« Ici par une nuit d’été lorsqu’il règne un de ces rares calmes absolus et que le monde semble enveloppé dans un silence sacré entrecoupé par le seul rythme lent de la mer. Repliant ses vagues sur le rivage. Le clair de lune dans un ciel sans nuages illumine chaque pétale de chaque lys et la face retroussée de chaque fleur. L’inexplicable beauté de la scène transperce le temps et l’espace pour réveiller la conscience de l’au-delà éternel et de sa proximité. », écrit Elsie en 1949.
Pour en apprendre davantage sur Elsie Reford et ses causes, consulter l’exposition virtuelle Elsie dans ses propres mots et le documentaire-radio de l’émission Aujourd’hui l’histoire avec Jacques Beauchamp, interviewant l’historienne et experte de la vie d’Elsie, Karine Hébert.