Louise Tanguay – notre héroïne du Jour de la Terre

par Alexander Reford

Autoportrait – Louise Tanguay dans l’installation Réflexions colorées du Festival international de jardins

Le Jour de la Terre est une invitation à faire le point, à inventorier l’état de l’environnement, à informer, à éduquer et à célébrer les meilleures pratiques et les réussites qui rendent notre monde meilleur. Le processus d’inventaire est peu encourageant, nos étagères sont plutôt vides lorsqu’il s’agit d’histoires à succès. Le nombre de défis environnementaux qualifiés de « crises » prend des proportions alarmantes. Le monde est en guerre, le climat change rapidement, les espèces sont en danger, le développement est incontrôlable.

Cette année, pour le Jour de la Terre, nous rendons hommage à Louise Tanguay, photographe, environnementaliste et écologiste. Nous célébrons le travail de toute une vie et son dernier livre, Les Jardins de Métis – Au fil du temps, qui est arrivé juste à temps pour le Jour de la Terre et les premiers signes du printemps. Nous avons fait circuler nos exemplaires préliminaires de ce livre, publié en français par Flammarion Québec. Les réactions sont merveilleuses à voir. Le livre a du poids (320 pages) et est très abordable (39,99 $). Il a un format généreux, avec des doubles pages, et est magnifiquement imprimé. Il a été conçu de façon impeccable par son auteur, graphiste et photographe, Louise Tanguay. En plus d’une courte préface de votre humble serviteur, il comprend les descriptions poétiques laissées par Elsie Reford, soigneusement sélectionnées dans ses carnet et articles sur le jardinage, ainsi que quelques photos d’archives pour fournir un contexte et un contraste aux couleurs vibrantes que l’on retrouve à chaque page.

Nous travaillons avec Louise depuis vingt ans. Ce livre est un chef-d’œuvre, qui s’ajoute aux magnifiques tomes (elle a déjà 15 autres livres à son actif) que Louise Tanguay a produits depuis qu’elle a abandonné ses talents de musicienne et de graphiste pour créer des livres présentant ses photographies. Cette publication est aussi la camarade imprimée d’une œuvre d’art à grande échelle, une murale de 40 pieds sur 4 pieds intitulée Au fil du temps – en fait, notre plus grande œuvre d’art jamais installée – qui accueillera les visiteurs chaque été à leur arrivée. Fixée à l’écran d’interprétation à l’entrée des jardins, elle est composée de plus de 500 images prises par Louise Tanguay sur deux décennies. Le livre est donc à la fois un souvenir de son travail et un souvenir de nos célébrations du 150e anniversaire d’Elsie Reford en 2022.

Qu’est-ce qui a motivé Louise Tanguay à devenir la lentille des chroniques de nos jardins ? L’amitié est un élément clé – l’amitié avec nos jardiniers, mais aussi l’amitié avec notre lieu. C’est cette affinité qui fait ressortir le travail de Louise dans mon esprit. Notre bibliothèque de référence est remplie de beaux livres présentant des œuvres étonnantes réalisées par les meilleurs photographes du monde. Mais rare est le photographe qui embrasse à la fois les gens et les lieux. Il n’y a aucune critique dans son travail, aucun jugement. Elle ne cherche ni à flatter ni à critiquer. Elle prend la nature telle qu’elle est et trouve la beauté dans ses tourbillons modestes, ses gouttes de pluie délicates et ses pétales farouchement enlacés. Ceux qui connaissent Louise savent que c’est un trait de sa personnalité. Elle peut sembler réservée au premier abord, mais elle est prompte à embrasser un lieu et ses habitants. Qu’elle vive dans la simplicité rustique de la maison du gardien à Métis-sur-Mer ou dans un chalet traditionnel dans la lointaine Grèce, sa capacité à lire un lieu n’est qu’un de ses talents particuliers. C’est ce qui fait d’elle une grande voyageuse et une interprète visuelle talentueuse des terres étrangères et des paysages exotiques.

Lorsque nous avons travaillé ensemble sur notre premier grand livre, Elsie’s Paradise (nous avions déjà travaillé sur un guide de petit format des jardins en 2001), j’ai fourni les mots, et elle, les photographies. J’ai commencé à remarquer que ses photographies comportaient presque invariablement du mouvement. Même si le vent est l’ennemi juré de Métis, ses images de plantes dansent sur la page. La fleur peut être parfaitement immobile, mais ses images éblouissent par l’énergie qu’elles dégagent. De même, ses plantes et ses arbres semblent tous amoureux. Se serrer, s’enlacer, se caresser – ce ne sont pas des verbes généralement utilisés en rapport avec le monde végétal et pourtant, ce sont les parfaits descriptifs des sujets de ses œuvres. Lorsque je montre ses images lors de conférences que je donne parfois à des clubs de jardinage ou à des sociétés historiques, ses photos suscitent des « oohs » et des « aahs » de la part du public – les mêmes réactions que celles que l’on entend en regardant les acrobates dans un spectacle du Cirque du Soleil. Elle parvient à transformer ces plantes, souvent très petites, en artistes plus grands que nature pour créer de la magie. Le public est sous le charme et la fleur timide a droit à un bref moment sous les feux de la rampe.

C’est la tâche à laquelle elle s’est attelée dans le cadre de notre deuxième grande collaboration – Les belles de Métis. Elle a dû non seulement capturer la beauté de la douzaine d’espèces présentées dans le livre, mais aussi revenir, encore et encore, pour les capturer en fleur. Cela signifiait qu’elle devait passer la majeure partie de l’été au volant de sa VW Westfalia – et dormir dedans parce qu’elle devait être dans les jardins au moment précis où les plantes sélectionnées par l’auteur insouciant du livre (c’est-à-dire moi) étaient en pleine floraison. C’était un travail d’amour, surtout à l’époque pré-numérique (il a fallu un certain temps à Louise pour abandonner les diapositives pour l’univers numérique), lorsqu’on la voyait se démener dans les jardins avec autant, sinon plus, d’outils qu’un de nos jardiniers. C’était un travail difficile et elle a juré de ne plus jamais le faire. Mais elle nous a laissé un précieux héritage d’images qui dépasse les 35 000 photos.

Je ne suis pas photographe. Mais une grande partie de mon travail, depuis près de trente ans que je gère Les Jardins de Métis / Reford Gardens, consiste à conserver des photographies. J’engage des photographes, je choisis des photos pour des conférences et des publications, je participe à la conservation d’expositions de photos et je travaille avec notre personnel et nos partenaires pour trouver les subventions et les dons nécessaires pour numériser, archiver et stocker correctement notre impressionnante collection de photos. De l’autre côté de la table de rédaction et en tant que consommateur trop enthousiaste de livres de photographies, j’ai reconnu depuis longtemps le talent particulier de Louise Tanguay.

Au fil du temps, Louise a amassé l’une des plus grandes banques d’images d’un seul jardin que je connaisse. Cela la place dans la même galerie de fondateurs que mon ancêtre, Robert Wilson Reford, qui n’était pas un jardinier, mais un photographe énergique et enthousiaste. Louise a beaucoup plus de talent que mon arrière-grand-père. Mais il y a une étrange symétrie dans son travail pour Elsie Reford et dans celui de Louise pour moi. Le bourreau de travail responsable d’un jardin a besoin de quelqu’un qui a le temps et la patience de faire la chronique d’un jardin et de ses plantes, une autre paire d’yeux pour trouver la perfection là où le responsable ne voit que l’imperfection. Louise a fait ce travail pour moi – et pour les jardins – pendant deux décennies. Il s’agit d’une collaboration et d’un partenariat remarquables et, si j’ose dire, uniques.

Les jardins ne sont pas naturels. Écologiques en apparence, ils sont une création entièrement humaine. Les plantes exotiques sont installées à côté des plantes indigènes. Le fumier et la moisissure des feuilles font pousser les choses plus vite. L’herbe est coupée chaque semaine. Les systèmes d’irrigation abondent. Les branches mortes sont enlevées. Les arbres en fin de vie ne font aucun bruit lorsqu’ils tombent, car ils sont enlevés par des hommes maniant une tronçonneuse. La beauté qui émerge est scénarisée, un artifice magique, entretenu et soigné.

Non naturelle, mais naturelle. Louise est venue à la photographie de jardins après avoir publié son premier chef-d’œuvre, son livre grand format Natura. Son talent pour capturer les couleurs et les textures du monde naturel s’y retrouve à chaque page. Son livre suivant, Flora, a présenté un défi différent, révélant les formes des plantes et des fleurs d’une manière qui n’avait jamais été faite auparavant. Elle s’est attaquée à des jardins pour sa prochaine commande. Et je sais qu’elle a trouvé ce travail difficile. Photographier des jardins est un véritable art, car l’œil humain ne peut pas littéralement voir la forêt pour les arbres. Capturer sur pellicule le tableau d’un parterre de fleurs ou d’un espace planté exige une capacité à créer un cadre là où il n’y en a pas, un point focal en l’absence d’un. Le jardin d’Elsie Reford représente à cet égard un défi plus important que beaucoup d’autres, en raison de la nature très personnelle des espaces qu’elle a créés, s’enchaînant les uns aux autres, d’une éruption de couleurs créée par une grande variété de plantes et de l’absence de ponctuation du jardin habituellement fournie par des murs, des haies, des marches ou des statues. Le don de Louise au monde des jardins est sa capacité à les faire paraître naturels.

Les jardins sont un cadeau pour la terre. Louise nous a aidés à déballer ce cadeau. Son talent mérite d’être célébré. Joyeux Jour de la Terre.

Alexander Reford

Le 22 avril 2022