HOMMAGE | Fernand Lavoie

En 1995, nous avons constitué les Amis des Jardins de Métis, à la fois un organisme sans but lucratif, pour prendre le relais de la gestion des Jardins, mais aussi regroupement de personnes qui souhaitaient soutenir les Jardins dans leur nouveau mode de gestion.

Le premier membre des Amis n’était nul autre que Fernand Lavoie, ce qui n’a rien d’étonnant. Fernand Lavoie avait les jardins tatoués sur le cœur, sur le corps, dans les mains. Il a creusé chacune des plates-bandes, planté des centaines d’arbres et veillé à la préservation de ce joyau pendant plus de trente ans. 

En anglais, ma langue maternelle, comme vous le savez un mot — lifer — dépeint celles et ceux qui passent leur vie dans une seule entreprise, qui se consacrent à un unique emploi. Fernand Lavoie était un lifer. Il a dédié sa vie aux Jardins, ce qui mérite toute notre admiration. Fernand a été la deuxième personne employée aux Jardins de Métis, après que le gouvernement du Québec de Jean Lesage eu fait l’acquisition, en 1961, avant de procéder à l’ouverture au public le 24 juin 1962. Fernand Lavoie a appris son métier auprès du grand maître Wyndham Coffin, jardinier en chef d’Elsie Reford pendant plus de trois décennies. Coffin habitait les lieux dans la Maison du gardien, qui est devenu le bureau de Fernand et demeure notre bâtiment administratif aujourd’hui. Fernand était fier de cette association avec la fondatrice des jardins et faisait partie de ce patrimoine immatériel. Apprenti doué, Fernand Lavoie a occupé presque toutes les fonctions imaginables aux Jardins : aide-jardinier, jardinier, jardinier en chef avant de devenir directeur en 1984.

À tous ces postes, Fernand Lavoie a montré de grandes qualités : compétence, énergie, respect, dévouement, leadership. Il a gravi tous les échelons. Travailleur exemplaire, Fernand m’a souvent dit qu’il avait tout donné aux Jardins de Métis, « tout donné », martelait-il, avec fierté et regret : quand on donne tout à un lieu, à un employeur, c’est aussi au prix de certains sacrifices. C’était là un message subtil et un encouragement.  

Lors de mes dernières visites à l’Hôpital de Mont-Joli, Fernand m’appelait son « grand ami ». J’étais toujours surpris d’entendre ces mots dans sa bouche. Je suis arrivé tard dans son existence, à un moment très pénible de son parcours : son projet de vie et sa carrière prenaient fin avec la privatisation des Jardins de Métis. Fernand Lavoie venait de la région; j’arrivais de l’extérieur. Il était francophone; moi, anglophone. Fernand avait des mains de jardinier; moi, de poète. J’ai occupé sa place et son bureau. Il aurait pu se montrer amer ou vindicatif. Au contraire, il est devenu un allié. À force de nous côtoyer, nous avons appris à nous comprendre, à nous aimer.

Il visitait souvent, très souvent, les Jardins, discrètement avec son appareil photo. Il observait avec attention, encourageait tout le monde, donnait une tape sur l’épaule, faisait un commentaire avec un sourire en coin. Ses questions déguisaient des suggestions. Il était respectueux, jamais critique, toujours rassurant. Ses remarques s’apparentaient aux paroles d’un sage. Lors de ses visites, on appelait au bureau — Fernand est dans les Jardins! —, un peu comme s’il s’était agi du pape ou du premier ministre. Il était très connu et très respecté par son personnel, ses amis du Club Rotary et chez Tim Hortons.

C’était facile d’apprécier Fernand : il venait en général avec deux magnifiques compagnons – Claire Jean et sa 1960 Triumph TR3A. Chacun déployait sa magie à sa façon. Tout le monde aimait Claire : elle rayonnait d’un bonheur contagieux. Son amour pour Fernand était palpable : ses caresses, son regard, le souci de son bien-être, les ajustements à apporter à son « Tilley » pour protéger sa peau de jardinier, trop souvent exposée au soleil. Claire, on t’aime et on t’accompagne dans le deuil de ton Fernand, ton amour.

Bien sûr, tout le monde aimait aussi sa TR3A. Ces dernières années, Fernand nous avait dit qu’il apprécierait un stationnement près de l’entrée. Bien entendu, nous avons très vite accédé à sa demande. J’ai dû pourtant digérer le fait que sa Triumph avait une force d’attraction semblable à celle des rosiers, juste à côté : si belle, si propre, au moteur si bien calibré qu’on entendait de loin. Fernand, ainsi que Claire et la TR3A étaient toujours les bienvenus. Ils le resteront.

Je salue ici mon grand ami. Et surtout ce grand ami des Jardins de Métis. Fernand a donné sa vie à ce lieu, à son développement. Il était fier de ses réussites, de nos réussites. Ses visites vont nous manquer. Mais son banc va rester parmi nous. Il porte son nom et le titre de son poste. C’est un banc en tek, un bois dur et résistant, mais doux au toucher, un peu comme Fernand. Son banc va bientôt retourner aux Jardins quand la neige fond. Je vous invite donc à venir saluer Fernand lors de votre prochaine visite.

Il sera heureux de vous voir et doublement content de penser que c’est lui qui vous ramène dans ses Jardins, les Jardins de toute une communauté.