Le Carnet de Jean Bédard
15 MAY 2020
Le 50ème anniversaire de la journée de la terre, c’est du sérieux. Ça prenait quelqu’un à la hauteur de la situation.
Nos amis du CLAC nous ont dirigé vers Jean Bédard. Philosophe et écrivain, ce réfugié de campagne autoproclamé semblait tout indiqué pour nous aider à donner un peu de sens à cette journée importante. Sous fond de pandémie, Jean Bédard est venu à la Maison des stagiaires pour nous livrer un message sombre et réaliste toutefois teintée d’espoir.
Un profond sentiment de désaccord face au système en place habite Jean depuis sa tendre enfance. Dans les années 50, Montréal s’est débarrassé de plus de 40,000 chevaux pour les remplacer par des camions. Le système de tramway a été démantelé et Jean s’est retrouvé à manger du cheval à bas prix pour souper. C’est là que sa propre révolution tranquille a débuté.
Jean s’est alors plongé dans l’histoire et dans la philosophie pour tenter de comprendre. C’est à la fois réconfortant et aberrant de s’apercevoir que les racines profondes des maux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui perdurent et s’accentuent depuis des millénaires.
« Déjà les romains avaient engendré la désertification de certains territoires. Les humains n’ont jamais su éviter les catastrophes jusqu’à maintenant. Personne ne veut abandonner ses privilèges, même si on court à notre propre perte. Les civilisations avant nous auraient détraqué le climat bien avant nous si elles avaient eu les moyens de le faire. »
L’auteur note qu’au coeur du problème, les mêmes problématiques reviennent incessamment : la surexploitation des êtres humains, la surexploitation de la nature et la misogynie.
À l’heure du mouvement #metoo, du phénomène Greta Thunberg et d’une ouverture des marchés sans précédent, on réalise que les piliers cités plus hauts sont plus pertinents que jamais aujourd’hui. Qui plus est, une prise de conscience exponentielle vient marquer le début d’une nouvelle décennie et donne une lueur d’espoir pour la suite des choses, qui s’annonce bouillonnante et chaotique.
Jean rappelle qu’avant la pandémie, le problème le plus criant était évidemment la crise écologique.
« On s’enferme dans un four. On est à deux degrés du dérèglement climatique et à quatre degrés de la désorganisation irréparable. La terre a 40 de fièvre. On joue avec le feu. »
Guidé par un fort esprit scientifique, Jean explique que la planète est un organisme vivant organique qui s’avère être très sensible. Il dresse un parallèle avec l’humain fiévreux. Chaque degré compte. À 38 degrés, on s’inquiète, on prend du Tylenol. À 40 degrés, il est temps d’agir. On se plonge dans l’eau glacé, on fait tout ce qu’on peut pour rétablir l’équilibre.
À cela s’ajoute l’explosion démographique provoquée par des poches profondes de pauvreté, des systèmes immunitaires affaiblis, une hausse des allergies, une surexploitation rampantes d’une grande partie de la main d’oeuvre.

« Nous participons à une grande crise sociale. »
Bref, rien ne va plus. On n’a qu’à syntoniser n’importe quel réseau de nouvelles en continu pour le confirmer. Le temps est venu de prendre conscience de tous ces faits alarmants et d’utiliser notre frayeur et notre profond désaccord pour se mobiliser.
Jean se retourne vers le théâtre, un outil d’éveil des consciences inventé par les grecques. Le grand archétype du Phénix peut ainsi nous éclairer. “La théâtralisation d’une fureur qui nous dévore afin d’enfanter une humanité nouvelle”, dit-il.
« On ne va pas sauver le vieux phénix. Mais on va assister à la naissance d’une nouvelle société.»
Phénix, grand oiseau de feu, doit mettre le feu à son nid de branches et battre des ailes avec vigueur afin de faire éclore l’oeuf. Seul le feu, et du coup sa propre mort, lui permettra de se régénérer.
Et que dire de la pandémie? Comment s’inscrit-elle dans cette métaphore pleine d’amertume et d’espoir?

« Nous assistons à un heureux dérapage.»
Pour Jean, l’exploitation extrême de la nature entraînera des conséquences qui ne pourront être évitées. Ces dernières mèneront à une plus grande humanité. Il évoque le principe rectificateur qui va bien au-delà du marché.
« Le pouvoir n’est ni dans les arts ou dans les doctrines, mais bien dans les consciences de ceux qui veulent vivre. »
À la lumière de cette crise mondiale sans précédent, l’inaction face à la crise climatique sera difficilement justifiable. On aura à décider si on souhaite vivre en paix avec la nature ou si on souhaite se tuer au travail. La question demeure : sommes-nous prêt à payer le vrai prix du changement? Sommes-nous prêts et avons nous envie de vivre autrement?
