Le Carnet d’Isabelle
22 avril 2020
Tôt le matin, alors que le fleuve St-Laurent s’agite à la fenêtre, je rejoins Isabelle sur zoom – confinement oblige.
Chemise carreaux style bûcheron, cheveux en toque et café à la main, le lifestyle parfait d’une jeune l’entrepreneure téméraire qui fait face à l’adversité avec créativité et conviction. On s’enligne pour une belle, intense conversation.
D’une phrase à l’autre, tout devient très claire. Isabelle aime VRAIMENT les fleurs, depuis toujours. Ça fait juste parti de son ADN. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle composait des bouquets. Pour le simple plaisir de créer de la beauté. Quatre mots qui résument bien les choses et qui reviennent au cours de la conversation : ça allait de soi.
« C’est un mode de vie, une qualité de vie. Je pense que je n’aurais jamais considéré autre chose. »
Ses mots, bien choisis sont remplis de poésie et de romantisme. Jeune, elle partait à vélo dans les champs avec son panier. Sa mère avait des rangées de roses, des fleurs à la pelleté. À l’automne, elles devaient être coupées pour l’entretien. Armée de papier journal et de son magnifique panier, Isabelle s’improvisait fleuriste pour un moment, distribuant du bonheur en bouquet aux vieilles dames du quartier. En échange, elle recevait des friandises variées. Une véritable petite mine d’or. Elle se laissait gâter.
« J’ai tout le temps fait ça », conclut-elle, songeuse.
« Je pense que ça aurait été de ne pas écouter ce j’étais si je n’avais pas fait Elle_aime_les_fleurs. Ça m’habitait plus que je le voulais. Ça mijotait à l’intérieur de moi. »
L’évolution s’est fait de manière organique, tout en douceur. Après des études en design intérieur à l’Université de Montréal, elle développe un modèle hybride qui s’inscrit à la croisée du design, de l’horticulture et de la fleuristerie. Elle souhaite porter tous les chapeaux et amener la discipline, la matière florale à un tout autre niveau.

« Je me considère comme une artiste qui travaille avec les fleurs. »
Graduellement, elle ouvre les esprits, amène ses clients à considérer les choses autrement. À aller au-delà de l’image Pinterest. À penser local autant que global. Son objectif : émanciper la fleuristerie pour l’amener au-delà de l’événementiel. Elle souhaite que son travail conceptuel soit perçu comme une oeuvre à part entière où la direction artistique est primordiale.
Les mots qui émergent à répétitions : cohérence et poésie globale.
L’engouement vers une connection à la nature plus forte amène les gens à considérer les fleurs comme un médium, une matière à modeler. Le peintre a sa peinture, le sculpteur, sa glaise. La fleuristerie prend une toute autre dimension lorsque le travail créatif prend le dessus sur la simple commande client. C’est là que ça prend tout son sens, que ça devient intéressant.
Une belle façon de pousser la discipline plus loin, c’est de collaborer avec des artistes qui souhaitent intégrer les fleurs dans leur démarche créative. On pense à la page couverture de mars 2020 du magazine Nouveau Projet ou encore de la couverture d’Album d’Alex Nevky – Cultiver la beauté. Quoi dire de plus?
Mais comment arriver à tant de beauté, à tant d’aspiration et d’inspiration créative? La réponse se trouve, bien sûr, dans les jardins. Isabelle admet d’emblée que même si elle ne vendait pas de fleurs, elle n’aurait pas le choix d’en cultiver. Pour le plaisir, pour combler cette belle sensibilité. Pour elle, le jardin est avant tout un lieu rempli de poésie où elle aime être. Le temps s’arrête, les préoccupations s’envolent, elle ne répond plus à rien dans cet univers parallèle.
« Le jardin, c’est d’abord un lieu de plaisir. Je veux avant tout produire des lieux romantiques.»
Elle s’inspire de la ferme SAIPUA dans l’état de New York. Une designer oeuvrant dans les hautes sphères de la mode qui a décidé de tout plaquer pour un lopin de terre bien loin de Manhattan. Comme elle, Isabelle veut des jardins qui ont du cachet, de l’intimité. Elle s’assure que ce soit d’abord esthétiquement invitant. On est bien loin de l’optimisation du pied carré.

« Beaucoup, c’est pas nécessairement mieux. Je ne suis pas dans l’intensif, je suis dans l’intention.»
C’est ce cadre de travail inspirant qui la nourrit au quotidien et qui l’amène plus loin. La rentabilisation se trouve donc ailleurs, dans l’imaginaire, dans la conception et bien loin du champ. Isabelle évoque également les Jardins des Quatre-Vents, situés à Charlevoix. « J’y penses tout le temps. » On comprend bien son obsession. Il s’agit d’un lieu unique, extrêmement bien réfléchi, ambitieux dans son design et très cohérent dans son approche.
Mais au-delà des jardins, la diversité des disciplines composant l’art de vivre est son pain quotidien. Livres de cuisines, de peinture et d’art sous toutes ses formes. C’est cette richesse, cette palette de possibilités qui la pousse à expérimenter, à amalgamer des tas de trucs et jouer avec les textures.
« Si tu consommes d’autres disciplines, tu ouvres les horizons. »
Elle a dailleurs un souci d’embaucher des gens qui ne sont pas nécessairement issuent du monde de la fleuristerie. Elle a beaucoup de plaisir avec des employés formés en cuisine parce qu’ils travaillent avec minutie et passion. « Des bêtes » qui ont le coeur à l’ouvrage et qui ont une propension à bien travailler. le reste, ça s’apprend.
Malgré son approche multi facettes qui favorise le décloisonnement des pratiques, Isabelle est une grande fan de simplicité, du less is more. Comme l’ikebana japonais, elle préfère que les choses respirent, que le concept soit épuré et bien pensé.
En tant qu’entrepreneure, son modèle d’affaire est à la hauteur de ses convictions. Son compte instagram demeure sa seule – et magnifique – carte de visite. Elle participe à des marchés fermiers, développe de belles relations, une notoriété irréprochable.

« Au bout du compte, c’est le fit entre moi et eux. C’est la relation avec le client. Il y a un humain derrière ça. J’aime la relation directe. Ça ne me fait pas peur. Ce modèle, cette échelle me convient pour l’instant. »
Et la consommation locale dans tout ça? Isabelle aborde chaque nouveau client comme une opportunité d’éduquer, d’ouvrir des portes. Elle tente d’abord de comprendre le langage visuel du client afin de lui offrir un esthétique similaire, mais avec des fleurs d’ici. Évidemment, ce n’est pas noir ou blanc. Notre designer aime les fleurs exotiques et ne va pas s’empêcher de répondre à l’appelle d’une déesse d’outre-mer. Elle l’inclut avec joie dans le processus créatif tout en balançant avec des fleurs des champs qui proviennent de ses jardins. L’approche hybride perdure, à tous les niveaux.
En tant de crise, de grande remise en question, on termine en tentant de se projeter dans l’avenir, pour un instant. Il y a tant de belles petites fermes qui émergent. Elle souhaite bâtir des ponts et les aider à bien se mettre de l’avant, à bien définir leur identité. Elle évoque des classes de maîtres et des oeuvres florales à grande échelle. Sortir du cadre de l’événementiel et amener la discipline ailleurs.
Voici la signature, la vision d’une entrepreneure qui est d’abord et avant tout artiste.